Les entreprises, nouveaux mécènes de la culture
Le mécénat se développe dans le domaine de la culture. De ces collaborations entre secteurs privé et public, chacun sort enrichi, la loi de 2003 encourageant les entreprises à financer le monde de l'art
Restauration de la Galerie des Glaces du château de Versailles. L'une des plus importantes opérations de mécénat culturel jamais réalisé en France (photo Feferberg/AFP)
En 1978, autant dire au siècle dernier, IBM France avait financé la réalisation de deux films sur le danseur Barichnikov. Elle en avait proposé la diffusion gratuite aux chaînes de télévision publique et essuyé un refus offusqué, au motif que le nom d’IBM apparaîtrait au générique. L’argent privé avait l’odeur du diable pour ces vertueux tenants de la culture étatique.
Aujourd’hui, l’hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, s’apprête à masquer entièrement sa façade avec une bâche portant le nom de Bouygues, qui finance sa restauration. Le château de Versailles a tout autant d’égards pour le groupe Vinci, qui restaure sa célèbre galerie des Glaces, ou pour les mécènes – entreprises et particuliers – des 286 vases et statues à restaurer dans son parc, en leur promettant d’apposer leur nom sur les cartels.
Un tabou français serait-il tombé ? Aux États-Unis, la plupart des grands musées ou des salles de concert sont financés depuis toujours par l’argent privé. En France, pays de tradition jacobine, le mécénat d’entreprise dans le domaine de la culture est longtemps resté marginal. Il ne représentait que 200 millions d’euros en 2000, 341 toutes causes confondues (culture, solidarité, recherche, etc.), selon l’Association Admical qui milite depuis 1979 pour cette forme de générosité.
En 1978, autant dire au siècle dernier, IBM France avait financé la réalisation de deux films sur le danseur Barichnikov. Elle en avait proposé la diffusion gratuite aux chaînes de télévision publique et essuyé un refus offusqué, au motif que le nom d’IBM apparaîtrait au générique. L’argent privé avait l’odeur du diable pour ces vertueux tenants de la culture étatique.
Aujourd’hui, l’hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, s’apprête à masquer entièrement sa façade avec une bâche portant le nom de Bouygues, qui finance sa restauration. Le château de Versailles a tout autant d’égards pour le groupe Vinci, qui restaure sa célèbre galerie des Glaces, ou pour les mécènes – entreprises et particuliers – des 286 vases et statues à restaurer dans son parc, en leur promettant d’apposer leur nom sur les cartels.
Un tabou français serait-il tombé ? Aux États-Unis, la plupart des grands musées ou des salles de concert sont financés depuis toujours par l’argent privé. En France, pays de tradition jacobine, le mécénat d’entreprise dans le domaine de la culture est longtemps resté marginal. Il ne représentait que 200 millions d’euros en 2000, 341 toutes causes confondues (culture, solidarité, recherche, etc.), selon l’Association Admical qui milite depuis 1979 pour cette forme de générosité.
Changement de donne
La musique bénéficie, à elle seule, du tiers des actions de mécénat culturel. On ne compte plus les cercles de mécènes autour de l’Opéra de Paris, l’Orchestre de Toulouse, de Lille… « La musique est perçue comme un langage universel. Aider à l’organisation d’un concert et pouvoir y inviter en échange ses salariés est à la fois convivial et valorisant pour l’entreprise. De plus, l’impulsion du patron reste déterminante pour décider d’une action de mécénat et la musique classique fait plus naturellement partie de son bagage culturel que la danse ou le théâtre », note Marianne Eshet, à l’Admical.
Parmi les motivations de ces nouveaux mécènes de la culture, l’amélioration de l’image de l’entreprise apparaît prioritaire. Après la marée noire de l’Erika, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, le groupe Total a eu à cœur d’effacer ces images catastrophiques aux yeux de la population française. Quelle meilleure affiche pour vanter « l’entreprise citoyenne » que de financer la restauration des peintures et des ors rutilants de la galerie d’Apollon au Louvre ? Ou récemment des restaurations, comme celle des remparts de Lectoure, le château Borély à Marseille ou la halle au blé de Bray-sur-Seine, via la Fondation du Patrimoine ? « Le mécénat offre une nouvelle légitimité pour l’entreprise. Il lui donne un visage, une voix chaleureuse, laisse transparaître ses valeurs », confirme Yves Le Goff, directeur de la communication de Total.
Un tiers du mécénat culturel sur l'Ile de France
Certaines entreprises vont plus loin, cherchant à mettre en œuvre de véritables collaborations avec des artistes pour doper leur innovation. C’est le cas, par exemple, du porcelainier Bernardaud à Limoges, qui invite des créateurs à explorer dans ses ateliers des formes et des usages inédits. « Les artistes ont des idées que l’on imagine ne pas pouvoir réaliser, ils rêvent… et nous obligent au dépassement », confirme à l’Admical Luc Doublet, PDG d’une entreprise de drapeaux du Nord, qui collabore aussi régulièrement avec des artistes.
Longtemps réticents à ces interventions du privé, par crainte d’y perdre leur indépendance et leur éthique non marchande, les milieux culturels ont appris, peu à peu, à tirer parti du mécénat. D’abord parce que, aujourd’hui, le développement du patrimoine est tel que l’État ne peut plus financer seul certaines opérations lourdes. La loi Tasca de 2002, encourageant fiscalement le mécénat pour l’achat de « trésors nationaux », a ainsi permis d’éviter la fuite de plusieurs grands chef-d’œuvre à l’étranger, à laquelle les musées assistaient impuissants auparavant.
Une rationalité gestionnaire pour le monde de la culture
« C’est difficile : la peinture de Poussin apparaît intellectuelle… Certaines entreprises veulent bien faire du mécénat en achetant une œuvre, mais seules et, là, le montant leur paraît trop élevé. D’autres préfèrent agir dans le domaine de la solidarité, mais il y a des contacts fructueux », explique Agnès Cipriani, responsable du mécénat au sein du musée.
Les relations avec le monde de l’entreprise apportent aussi une rationalité gestionnaire à celui de la culture. Des savoirs s’échangent, lorsque Pierre Guénant, PDG de PGA, une PME de distribution automobile, qui a offert au Louvre en 2002 des peintures d’Oudry, siège au sein de la commission d’acquisition du musée, ou lorsque le président de General Electric décide de s’associer aux Eurockéennes de Belfort…
La peur de ne pas trouver de mécène
Pourtant, le potentiel de développement est encore immense. Il y a en France environ 240 000 entreprises d’au moins 10 salariés, dont beaucoup ignorent encore les nouveaux avantages fiscaux et l’intérêt du mécénat. Le ministère de la culture, qui développe des formations à ce sujet dans les écoles de commerce, est convaincu de la possibilité de mobiliser davantage tout ce secteur privé. En scène, messieurs les Mécènes !
Sabine GIGNOUX
À noter : le répertoire d’Admical qui recense les actions de très nombreuses entreprises mécènes est disponible sur www.admical.org ou au 16, rue Girardon, Paris 18e.
in le Journal La croix, publié le 15/12/2006 19:45