L'archéologie industrielle à la Réunion

Publié le par MASTER 1 TPE 2006-07 METIERS PATRIMOINES

L’archéologie industrielle à la Réunion, c’est principalement celle du sucre. Et comme archéologie et histoire ne sauraient être séparées, parler d’archéologie industrielle dans notre île qui fut une colonie citée en exemple signifie parler des relations des Réunionnais avec le sucre. Des relations devenues d’autant plus ambiguës, que l’imaginaire renvoie à une dimension sociale et gomme l’héritage technique et technologique - pourtant familier - du travail de la terre réunionnaise.

 
 La Réunion offre aujourd’hui l’image d’une terre agricole, tant dans l’esprit des arrivants que dans celui des Réunionnais de souche qui se définissent volontiers comme descendants de "ti-colons". Pourtant, elle conserve d’importantes traces d’un patrimoine industriel. Plus exactement d’un patrimoine agro-industriel lié directement aux activités agricoles (ou induit par elles), et pour l’essentiel d’un patrimoine sucrier. Il s’agit d’un patrimoine caché, qui ne se lit plus que dans les friches industrielles envahies par la végétation et recouvertes encore des jachères de la mémoire, en ce sens que les Réunionnais ignorent le plus souvent le nombre et l’importance de ces anciennes usines sucrières. La mémoire locale assimile toujours ces monuments du travail à la période esclavagiste, bien qu’ils aient perduré longtemps après, et que deux usines... fonctionnent encore de nos jours. Tous les autres, ébranlés par les intempéries ou vidés par les ferrailleurs, discrètement rasés par des promoteurs, disparaissent peu à peu. Heureusement que quelques associations se penchent sur des projets de réfection ou restauration. Bourbon s’est tournée tard vers le sucre. Certes, l’introduction de la canne dans l’île coïncide avec le début de son peuplement vers 1665. Et si la production sucrière connaît une première naissance vers 1785 (année où est édifiée à Saint-Benoît la première sucrerie chez M. Laisné de Beaulieu et une relance à partir de 1810 (après la destruction des caféteries et des plantations de girofliers par le violent cyclone de 1806, puis de la grande avalasse qui dura du 18 décembre 1806 au 7 janvier 1807, elle-même suivie d’une terrible sécheresse et d’un nouveau cyclone le 14 mars de la même année), la réelle exploitation de la canne à sucre ne commence que dans les dernières années du XVIIIe siècle. Et si l’île est une des dernières régions du monde touchées par la production du sucre, d’emblée cette activité y prend une dimension industrielle : le nombre des usines se multiplie rapidement, jusqu’à atteindre 205 unités, qui fonctionnent de juin à janvier. Sans compter nombre d’activités annexes (fours à chaux, fonderies, forges, ateliers de mécanique, fabrication d’emballages, construction) induites par le sucre. Un nombre important d’hommes est bien entendu employé à sa fabrication. Tandis que son commerce génère des flux et des réseaux non moins conséquents. L’usine, autrefois signe de la richesse, de l’avenir et de la modernité, aujourd’hui ne fait plus partie que de l’arrière-pays de la mémoire, où l’histoire n’a plus accès. Car, il faut se rendre à l’évidence, si l’on évoque encore les usines à la Réunion, c’est d’une manière plutôt abstraite, générale, qui ne voit pas la réalité historique qui se cache derrière. Le passé se transmet par des vestiges et des documents. Alors, "quelle histoire fera-t-on demain si nous laissons aujourd’hui s’effacer nos vestiges ?", s’interroge Jean-François Géraud. Toute action, même la plus humble, dont il reste trace ou témoignage, appartient de plein droit à la connaissance, à la culture. S’agissant de nos usines sucrières, nous sommes dans le domaine de l’archéologie industrielle. Une discipline récente, née dans les années 1940 dans les pays anglo-saxons et qui ne touche la France que dans les années 1970. Les Antilles produisent leurs premiers travaux au début des années 1980. Tandis que, pour sa part, la Réunion reste encore à l’écart, se contentant d’un vague ressassement patrimonial traité presqu’exclusivement par les journaux.

Une route du sucre

La notion d’archéologie industrielle, partie de l’étroite définition de "champ d’étude qui concerne l’examen, l’expertise, l’enregistrement et dans certains cas la préservation des monuments industriels", s’est élargie à celle de l’analyse de tous les aspects de la vie des hommes, qui permet de découvrir les multiples facettes d’une civilisation ancienne ou récente. Le développement de cette discipline a amené un reclassement de nos édifices industriels, à côté d’autres, considérés depuis longtemps comme monuments historiques, parce qu’ils constituent des témoins d’une époque. C’est aussi plus qu’une histoire des sciences et des techniques que l’archéologie industrielle cherche à élaborer en voulant reconstituer l’espace matériel et humain qui entoure une société. La pratique de l’archéologie industrielle diffère de celle de l’archéologie classique. Plus exigeante et ambitieuse, elle nécessite des contacts étroits avec la population locale, porteuse d’une mémoire collective qui peut être vivace (le témoignage des vieilles personnes est souvent irremplaçable, même savoureux avec leurs anecdotes et les représentations mentales qu’ils véhiculent), avec les propriétaires existants, avec des experts locaux, des curieux, etc. Le plus souvent, l’origine chronologique et l’ancienneté du site sont connus, de même que l’évolution des structures (à travers les documents d’archives), enfin, les espaces concernés sont immenses et le nombre des sites très important. La fouille alors devient un moment de la recherche et s’inscrit dans le cadre de ce qu’on pourrait définir comme une "archéologie interrogative". L’archéologie industrielle a une double finalité, expose Jean-François Géraud. Une finalité science : la technique vient d’ailleurs ; et une finalité valorisation : de plus en plus, on s’aperçoit que l’archéologie - paradoxalement - étudie le passé plus ancien et le réoriente vers le présent et l’avenir. Comme les pièces de monnaie, elle montre deux faces : l’une regarde vers le passé et l’autre vers l’avenir. Sans vouloir nier cette réalité, le sucre, ce n’est pas seulement les coups de "chabouk" des "commandèrs" sur les dos des "noirs de pioche" courbés sur la terre. Ce serait faire montre d’une culture réductrice du sucre. D’ailleurs, les ouvriers ne sont-ils pas souvent fiers de leur travail, de leurs outils de travail, de leur savoir-faire, de leur univers-là ? Pour la mise en valeur de l’aspect touristique, même s’il est hors de question de tout restaurer, d’aucuns pensent qu’il serait bon d’instaurer une "route du sucre" à l’instar de la "route des épices" à Zanzibar, avec un premier site centré sur la culture de la canne, un deuxième sur les travaux, l’esclavage, etc, organisation qui attirerait des touristes et créerait des emplois.

Clicanoo.com, dimanche 8 juillet 2007

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article